LEVY BATISTA EN PERPÉTUELLE PROGRESSION

Avant d’en venir au VTT, c’est en motocross que Levy Batista s’est tout d’abord illustré en débutant dans cette discipline dès son plus jeune âge. Des championnats régionaux, il a évolué en compétition en passant par le Minivert (championnats de France pour les jeunes jusqu’à la catégorie Minimes), avant de continuer les courses dans les catégories supérieures. Son identité a véritablement été forgée par le motocross, une discipline encore très ancrée en lui, même s’il ne la pratique plus aujourd’hui. Son histoire au guidon d’un deux roues est riche, et s’il serait facile de vendre le titre de champion de France en National MX1 remporté en 2014, c’est des compétitions internationales dont Levy préfère parler. Supercross de Genève, Grands Prix en MX1 et MX3, championnats d’Europe en MX2… Le pilote préférait aller se confronter aux meilleurs plutôt que de cibler des titres plus abordables, quitte à être moins sur le devant de la scène.

En VTTAE, le pilote a cette année remporté le général de la coupe de France Enduro, mais à l’image de son passé en moto, il nous explique que ce n’est pas ce dont il est le plus fier. Ce que l’on ressent comme important, c’est la progression, c’est d’aller se mesurer aux meilleurs, et d’atteindre de nouveaux objectifs chaque année.

Avec un si grand passé en MX, comment en es-tu venu au VTT ?

En 2015, je commençais à préparer un doctorat en traitement de signal, et cela faisait deux ans que je me sentais plafonner en moto. La raison, c’est que je ne roulais pas suffisamment par rapport à mes concurrents. J’arrivais à bien me battre contre des professionnels, mais finissais par flancher par manque de roulage. Je ne voyais pas comment progresser plus si je ne faisais pas plus de moto, hors je ne pouvais pas faire plus. Quand tu arrives au top de ce que tu sais faire, soit tu te fixes des objectifs moins hauts ou équivalents à ce que tu sais faire, soit c’est une opportunité pour aller découvrir de nouvelles choses, et c’est la direction que j’ai préféré prendre. J’aime vraiment l’aspect progression, et ça me dérange de ne pas avoir d’objectifs plus hauts que l’année précédente. L’idée est venue de faire carrière dans un autre sport, mais quand je me suis posé la question, il n’y avait pas de sport ciblé : « profitons que je veuille me fixer des objectifs pour découvrir un autre sport ». J’ai assez vite orienté vers le vélo car j’aime l’aspect pilotage et l’aspect physique que je retrouvais en moto. Ça aurait pu être le BMX, la DH... Le BMX a été mis de côté car près de chez moi, il n’y a pas de piste. L’enduro je ne connaissais pas du tout, j’ai commencé à découvrir la discipline, un ami m’a montré un peu ce que c’était et quand j’ai fait ça une fois je me suis dit « c’est trop bien ». J’ai cherché un vélo d’occasion, et ça a commencé comme ça fin 2015 avec dans l’idée de faire ma première saison en 2016. Je voulais réappliquer l’investissement que j’ai eu en motocross dans une nouvelle discipline.

J’ai aimé tout de suite donc j’allais souvent m’entraîner. Le vélo m’a épargné aussi beaucoup de contraintes que j’avais avec la moto. Deux heures d’entrainement en moto, c’est deux heures d’entretien et de lavage ! Ça coute très cher, il faut trouver des terrains ouverts, et dans le Grand Est quand il pleut, en général les terrains n’ouvrent pas car ça les détruit et ce n’est pas rentable. Quand je faisais de la moto, le reste de la semaine, je faisais de la course à pied, de l’escalade et de la muscu. J’essayais d’avoir un volume important de sport malgré que je ne puisse pas m’entraîner. Avec le vélo j’ai vu l’opportunité de le prendre dans la voiture, de sortir du travail et d’aller m’entrainer sur des petits spots qu’on a près de la maison. Il n’y a pas de vidange ou de filtre à changer […], ça a permis de me concentrer sur l’entrainement. 

Avant ça, tu n’avais jamais fait de vélo ?

J’ai eu une période vers mes 18 ans où je faisais du BMX street. C’est éloigné de la race, mais ça m’a permis d’avoir une certaine aisance en vélo, surtout que je roulais sans frein ! Mais à part ça, pas de vélo, juste pour la petite histoire, j’avais participé à un triathlon, je suis sorti de l’eau au milieu du groupe, en course à pied j’ai fait le deuxième temps, et en vélo, je suis arrivé dans les derniers !

Comment s’est passé ta première saison en 2016 ?

J’ai fait les coupes de France (22ème au général) et les courses régionales dans le Grand Est avec le Cannondale Enduro Tour, devenu Bike Components Enduro Tour, également la Mégavalanche où j’ai terminé 16ème. Je trouve que c’est avec les courses que je progresse le mieux, là où tu te donnes à fond, où tu vois vite tes limites, et j’aime en faire beaucoup. Dès qu’il y avait une course, je m’inscrivais. Je me suis passionné à fond ! J’ai adoré redevenir débutant, au début je ne voyais pas la différence entre un vélo de descente et un enduro !!

Quel a été ton parcours scolaire et professionnel ? 

Après mon bac scientifique, je ne savais pas forcément quoi faire mais j’étais attiré par les mathématiques, l’informatique et l’électronique. Je me suis laissé guidé par les matières et j’ai fait un DUT génie informatique / électronique. Je ne voulais pas forcément faire des études longues mais à la fin de l’IUT, je ne me voyais pas aller travailler avec ce qu’on avait appris. J’ai décidé de faire une licence sciences pour l’ingénieur, puis un master ingénierie des systèmes complexes. J’ai apprécié tout ce qui était mathématiques appliquées, traitement de signal, donc à la fin du master, j’ai voulu creuser plus loin, et faire un doctorat que j’ai soutenu fin 2017. J’ai ensuite travaillé pour la startup dans laquelle j’étais pendant mon doctorat, spécialisée dans la pharmacologie mais avec l’avènement des e-bikes, j’ai vu l’opportunité d’offrir mes services pour le monde du vélo. J’ai monté ma société : Redbat (pour Recherche Et Développement BATista), et j’ai actuellement des contrats avec Urge et Brake Authority. J’ai aussi travaillé pour Rockrider.

Peux-tu nous parler de la façon dont a évolué ton partenariat avec Tribe Sport Group ?

Au départ, Tribe m’avait créé un support via un magasin. En 2018, j’ai terminé deuxième de la coupe de France donc je suis passé en direct avec eux pour la saison 2019. En 2020, une structure a été montée pour participer aux coupes du monde e-bike, et j’ai fait partie de cette équipe. C’est là que je me suis mis 100% à l’e-bike. La structure a ensuite fusionné avec le team Tribe Pyrénées Gravity, créé par Ludovic Henri et supporté par des marques qu’on retrouve chez Tribe, mais pas uniquement.

Tu es pointu sur les analyses, est-ce que tu fais des retours pour Rocky Mountain et si oui sont-ils pris en comptes ?

Je suis en contact direct avec Rocky Mountain. Je fais pas mal de retours et il y a des choses qui sont sur le vélo aujourd’hui qui proviennent de mes inputs, mais ce n’est pas tout le temps le cas. La relation est bonne, mais il y a un compromis entre ce que veut un compétiteur, et ce qui correspond plus au grand public.

Que retiens-tu de la saison 2023 ?

Il y a eu un peu de déception, surtout en début de saison car je me suis très bien préparé et je suis arrivé malade à Finale Ligure (ndlr : première manche de la coupe du monde) et j’ai subi ! A Leogang je faisais une course correcte, puis j’ai crevé… Aussi, en début de saison, le vélo était le même que l’année dernière donc je pensais qu’il serait vite prêt et au final, j’ai passé beaucoup de temps à faire des évolutions. J’ai validé le mulet mais me suis un peu perdu en milieu de saison, je suis repassé d’une taille M à une taille S, et tout ça m’a pris beaucoup de temps. Je suis quand même monté en puissance et prend encore plus plaisir sur le vélo aujourd’hui. J’ai senti la progression et suis quand même satisfait.

Tu as participé à toutes les manches de coupe de France et d’E-EDR. On sait que l’entrainement à haut niveau prend de temps et tu es aussi bien occupé professionnellement… Comment gères-tu ces deux rôles ?

C’est un subtil équilibre, je suis aussi père d’une fille de 3 ans et c’est compliqué de tout concilier ! Mais tout s’entrecoupe, si demain je dois aller faire des tests pour Brake Authority, je suis quand même sur le vélo. J’essaie de tout condenser un maximum, tout n’est pas parfait mais j’ai tout mis en place dans ma vie pour que ce soit possible, parce que j’ai envie de faire les deux et que j’ai toujours fonctionné comme ça.

Des EWS à l’E-EDR UCI : as-tu noté des changements, comment s’est passé la transition à tes yeux ?

Avant, on avait des parcours dédiés à la discipline, avec 3 batteries, et il y avait parfois des spéciales communes avec les musculaires. Maintenant on est passé sur 2 batteries à vider et c’est le même parcours que les musculaires avec les powerstages en plus, et éventuellement une spéciale de plus. Il y a moins de volume qu’avant, ce qui fait que le niveau d’intensité est devenu maximal dans les spéciales. On a un peu perdu au change mais ça reste une belle discipline qui gagne de nouveaux riders venant du musculaire. Ça se densifie et devient intéressant ! Comparé au musculaire, le cœur de la discipline reste le même, mais on en fait plus, en contractant les liaisons, c’est top !

Te souviens-tu de la première fois où tu es monté sur un VTTAE? Qu'est-ce que tu en as pensé?

En 2018, j’avais déjà un e-bike. Ma femme aimait bien descendre en bikepark, mais n’aimait pas monter. Ça m’a donné une raison d’acheter un ebike pour qu’elle puisse m’accompagner, et les jours où elle ne roulait pas, je pouvais monter dessus. Ca me permettait en sortant du travail d’aller rouler une heure et de m’entrainer qualitativement. En VTT, tu passes 80% de temps à monter et 20% à descendre, ça ne fait pas beaucoup quand tu as peu de temps pour rouler. L’e-bike, ça a été une délivrance qui m’a au début permis de faire beaucoup de volume et de progresser encore plus !

Est-ce que ton passé en MX t’as aidé en vélo, si oui à quels niveaux ?

Quand j’ai commencé l’enduro, le fait d’avoir un bon niveau en moto, ça m’a permis d’aller vite très rapidement. A partir du moment où ce n’était pas trop technique, j’avais une bonne vitesse, je savais bien sauter. Par contre, je tombais souvent : à un moment il a fallu apprendre à faire un virage en mode vélo ! Aussi, je m’épuisais énormément, car j’arrivais fort, freinais fort. En termes de flow, il a fallu tout apprendre. Apprendre également à rouler avec des pédales automatiques…

Au niveau des relations, ce sont des disciplines où il y a des vases communicants et des amis faisaient déjà de l’enduro, dont un qui avait une petite structure et qui m’a aidé dans son team. J’avais déjà une petite renommée. Le jour où j’ai contacté Tribe Sport Group, je pense que Fred Glo qui vient aussi de la moto a été sensible à ça.

Qu’est-ce que l’ingénierie, le côté scientifique, t’apporte dans le vélo?

Il y a tout cet aspect un peu carré qui me caractérise pas mal. La compréhension… Comprendre comment marche un vélo et faire le lien avec mes sensations, ça me donne des directions pendant mes tests. J’aimerais dire que ça me fait gagner du temps, mais c’est tout le contraire ! Je raisonne très peu en termes de convictions, comme pour le combat 29 vs mulet. Des pilotes sont fous du mulet et disent c’est mieux, d’autres c’est le 29, et moi, j’ai fait beaucoup beaucoup de tests… La conclusion, quand tu corriges bien la géométrie, c’est que la différence n’est pas incroyable, tu gagnes à endroit mais tu perds à l’autre, et à la fin, il faut faire un choix de compromis. Tu sais que tu perds quelque part, et au final, par rapport à quelqu’un qui a des convictions, tu n’es pas aussi en confiance, car tu as conscience des nuances. Quand j’ai fait le tour de la question et que la décision est prise, j’arrive quand même à prendre confiance, car c’est mon meilleur compromis.

Est-ce que tu sens que tu continues de progresser ?

Oui, encore cette année je me suis senti progresser. Déjà parce que je travaille depuis 2019 avec Claire Hassenfratz de Physiobike. Chaque année, je construis sur ce que l’on a fait l’année précédente, et je vais plus loin en termes de musculation, de PMA, … On progresse encore, et ça se ressent quand je roule, je me sens plus solide, peu limité par le physique, et ça me permet d’aller plus vite.

Quels sont tes objectifs pour la saison à venir ?

Côté team, on va encore être mieux niveau matériel et support pour cette saison. Je vais donc continuer à bâtir sur ce qu’on a fait l’année dernière, essayer de performer. Sur les coupes du monde, il y a un petit groupe devant moi entre la 5ème et la 10ème place, très fort, où c’est très serré. Si j’arrivais à le rejoindre, ou être juste devant, je serais vraiment satisfait.

Tu roules sur un Rocky Mountain, qui n’est pas des plus communs. Est-ce que c’est quelque chose dont tu es fier ?

C’est facile d’être fier, car le vélo est super. Rocky Mountain s’en sort très bien en développant leur propre moteur. La réactivité du vélo est incroyable et j’aime beaucoup le fait que ce soit une solution différente du reste, avec un boitier de pédalier indépendant du moteur. C’est vraiment un vélo que j’associe à l’enduro et à la compétition.

Aujourd’hui, comment les VTTAEs pourraient-ils progresser selon toi ?

Sur la géométrie, la répartition des charges. Aujourd’hui ce que je trouve dommage, c’est qu’on cherche vraiment à camoufler le moteur et la batterie, alors que d’un point de vue répartition des charges, on pourrait surement faire mieux que ça. Quand on a cette longue batterie de 720Wh qui vient jusqu’à la direction de direction et qui met un gros poids dessus, c’est peut-être pas ce qu’il y a de mieux à faire. Ensuite, par rapport à ce que je vois, il y a encore des problèmes chez d’autres marques quand tu pousses le vélo à fond, de fiabilité, de chauffe thermique. Chez Rocky Mountain on consommait un peu plus, mais la nouvelle version du vélo consomme beaucoup moins.

Quel est ton meilleur souvenir en relation avec le vélo ?

L’année 2018 ! C’était ma première saison avec un Rocky Mountain (ndlr : en musculaire) et je suis monté en puissance en faisant des tops 50 en EWS. J’ai terminé 2ème au général de la coupe de France alors que deux ans et demi avant, je ne connaissais rien au vélo ! En coupe de France les plaques rouges me faisaient rêver (top 20), et là j’avais la plaque 2 !

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Fiche identité :

Date de naissance : 15/10/1990
Taille : 167cm
Poids : 67kg
Lieu de résidence : Custines (54)
Vélos actuels : RM Altitude, RM Altitude Powerplay, un dirt Commencal, un Cannondale de route, et un trial Koxx.
Ce que tu aimes en dehors du vélo : l’escalade avec du bloc en salle quand je peux, la course à pied, le reste tourne autour du vélo et de la moto.
Qualité : la discipline
Défaut : je suis parfois trop dans la réflexion
Dans une autre vie, tu serais qui, tu ferais quoi ? Franchement je ferais la même chose !

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Propos recueillis par Adrien HOFFER
Crédits photos :
Marie Batista – BAT-COM, Anne Goetzmann, Justine Gute